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LE CAILLOU CADEAU

 

Nous avons tous un rendez-vous avec une promesse. Notre conscience aspire à la forme tandis que chaque forme exprime de la conscience. Depuis la nuit des temps on cherche dans les pierres et les nuages, le signe, le vœu ultime, notre pur secret. Joyeux aveugles, on loue l’imagination, on emballe le cadeau, on invente la surprise. Le pôle de notre conscience est pourtant à la fleur des choses.

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"Le Caillou Cadeau"

Pierre bleue et laiton.

Diamètre approximatif: 250 cm.

Poids: 12 tonnes.

2023

LE CAILLOU CADEAU

 
Chacun est interpellé par une pierre un jour dans sa vie. Présence millénaire en écho à l’âme, miroir minéral d’une identité enfouie, les pierres parfois nous parlent. 

 

Un jour, en montagne, une pierre spectaculaire m’a véritablement interpellé. Elle était à flan de coteau, parfaitement ronde. Son diamètre faisait environ deux mètres. Son aspect était identique à celui d’un vieux papier froissé, si bien qu’il s’agissait sur cette montagne d’un colis drolatique échoué, une surprise, un message, une interrogation. Cette pierre semblait flotter et n’appartenir à nulle géologie, nulle chose, sinon à l’esprit capable de la voir. Aux yeux c’était un emballage qui semblait avoir vécu plusieurs odyssées et donnait l’impression d’être extrêmement fin. Tout paraissait possible. Que pouvait-il bien contenir, ce caillou cadeau ? Sinon rien. Car rien n’était évidemment plus vide que ce paquet.

Le soir même, toujours subjugué, les songes m’apportent des interrogations fondamentales : Qu’est-ce qu’une pierre ? Qu’est-ce qu’un emballage ? Qu’est-ce qu’une surprise ? Que sont ces notions réunies ensemble, en un même objet ? De la plus concrète à la plus volatile, ces choses s’embrassent et « Caillou Cadeau », jolie parenthèse, se répète dans ma tête. J’imagine qu’il s’agit là d’une sculpture archaïque. L’espoir ou la volonté spirituelle que l’on place à fleur des choses. 

 

Quiconque a vu une pierre s’est arrêté sur le hasard de sa forme et son impénétrable irrégularité. Quiconque a regardé une pierre a rencontré, en nuage, une vue secrète, consciente ou inconsciente, d’une forme concrète. La sculpture, c’est aussi cette recherche intérieure. Penser à ces sculpteurs face aux pierres qui, de milliers de petits coups, les frappent. Quel acharnement spectaculaire. Quelle volonté faut-il pour souhaiter à ce point s’exprimer. Les mots si légers et tous les gestes du monde seraient-ils trop peu sérieux pour se livrer au désir suprême.

Et puis de l’apparence et de sa vérité. De la pierre et de ce qu’elle promet à l’imaginaire, de l’éventualité, de la surprise qui se cache. Car il y a dans toute finalité, en toute présence, un drame merveilleux, une idée retenue par la vie qui se dérobe de la matière. Ce sont les silences des musiciens, les arrêts des sculpteurs et le soupir des amants. Il y a en tout acte, en tout mouvement, d’abord une attente, ensuite une extase, puis un parfum, la vie de quelque chose arrivé au cœur des êtres que nous sommes. Mais la pierre une fois née est immobile, cette noble pérennité nous parle de la genèse, d’un temps ou la conscience était réservée à la physique.


Ce pourquoi, l’idée de surprise appartient à la pierre lorsqu’elle est appréciée en forme esthétique, en membrane hermétique. Mieux, si la pierre vierge inspire directement l’emballage « cadeau » (car c’est bien cela que j’ai vu sur cette parcelle d’altitude), elle nous renvoie à cette question : Qu’est-ce qu’un emballage cadeau ? pourquoi l’emballage ? De quoi surprendre ? Saurait-on pour soi et pour tous que le vœu inconnu nous gracie. Chacun verrait derrière le paquet cadeau, le rêve imprononçable. Sa pièce manquante. Plus étrange, le cadeau c’est souvent le paquet et plus grand chose d’autre que la mesure d’une déception. Toute la magie serait dans le paquet, l’enfoui, le dissimulé. C’est fragile, presque rien, on devine. Et nous connaissons bien cela, recevoir ce volume de rien qui nous sépare des choses. Ce millimètre atmosphérique qui fait que tout est toujours perception, peut-être fantasme.

Et enfin le nœud. Mais quelle magie derrière cette grande boucle de confusion qui tient le mystère compact. Cet artifice majeur qui suggère le soin et l’attention portés à quelque chose de précieux pour quelqu’un de précieux.

Le « Caillou Cadeau » est une promesse inaltérable, totalité fragile et illusoire, qui m’apprit la sculpture en un éclair. Le plein et le vide et l’esprit forcé de se rendre à un point précis. Et puis, notion majeure, l’allégresse, car la qualité première d’une sculpture est l’allégresse, être idée à objet disparut. Et croyez-moi cette roche de 20 tonnes volait comme un crépon dans l’espace, le miracle c’était de l’avoir vu là immobile.

Je n’ai jamais retrouvé cette pierre sur ce pré entre Sierre et Cran Montana. Alors je l’ai cherché dans tous mes voyages, je suis descendu dans les carrières et quelque part au sud de Liège, une pierre m’a arrêté. Une Pierre Bleue, énorme. On me l’a donné comme un animal indiscipliné, le jour de mon anniversaire, c’était elle ma pierre. 

 

Le Caillou Cadeau est devenu un compagnon. Il m’invite dans le cercle très particulier des amateurs de pierre ou demeure un secret encore plus particulier : les pierres nous domestiquent, nous assiègent à l’endroit de leur pesanteur. L’homme veut toujours des choses dynamique, un objet immuable est une joie pour ainsi dire formidablement fidèle. L’univers tourne autour de cette masse précise, la lumière, les saisons, l’eau et l’air. Cet astre endormi me rend prière.    

 

Je souhaite lui ajouter un humble ruban avec une petite spirale en bronze doré, et le porter au sommet d’une montagne. On verra si c’est possible, pour Sisyphe, pour la projection, pour la quête perpétuelle et obstinée d'un état de grâce. La surprise sera l’envol.

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